Mais, où vont les spectateurs ?

COMMISSARIAT D’ÉVÈNEMENT – PROJET PÉDAGOGIQUE


Mais, où vont les spectateurs ?

colloque en acte organisé par l’atelier de scénographie de la HEAR et le Théâtre du Maillon de Strasbourg

commissariat : François Duconseille, Léa Gauthier, Jean-Christophe Lanquetin et Bruno Tackels

avec : Clarisse Bardiot, Thierry Bédard, Susan Buirge, Boris Charmatz, Thierry Coduys, Jean-Louis Comolli, Alexandre Früh, Léa Gauthier, Francisco Ruiz de Infante, Jean Jourd’heuil, Annette Kurz, Marie-José Mondzain, Robert Stadler, Ivan Stanev, Gilles Touyard

production : HEAR et Maillon

partenariat avec la revue Mouvement

Le Maillon, Strasbourg, novembre 2004

dossier-Mouvement-1

dossier de la Revue Mouvement 


«Le seul moyen d’envisager un nouveau cinéma c’est de considérer davantage le rôle du spectateur. Il faut envisager un cinéma inachevé et incomplet pour que le spectateur puisse intervenir et comble les vides, les manques. Au lieu de faire un film avec une structure solide et impeccable, il faut affaiblir celle-ci.» Abbas Kiarostami.

1. Mutations
Si le développement des arts, tout au long du XXe siècle, a largement contribué à leur métissage et au déplacement des disciplines rendues perméables les unes aux autres, ces déplacements de frontières ont également déplacé la place, la nature et la fonction même des spectateurs. Si le théâtre a mis en cause la salle à l’italienne, si l’écran est sorti du cube noir, si l’œuvre plastique est tombée de sa cimaise, si la sculpture a perdu son socle, l’espac
e ainsi dégagé se définit d’abord par de nouveaux questionnements : comment les arts quittent-ils leur champ disciplinaire d’origine ? Et comment les spectateurs retrouvent-ils une nouvelle place ? Nous faisons l’hypothèse que ces mutations de l’art contemporain  concernent au premier chef

l’écriture d’un espace, une nouvelle pensée, littéralement, de la scénographie, bien au-delà de son champ d’origine théâtral.

2. Représentation
Cette nouvelle pensée de la scénographie n’a pas simplement pour vocation de repérer et analyser les nouveaux lieux dans lesquels a lieu la création actuelle. Cette esquisse d’une pensée de la scénographie dans les arts se donne pour tâche de penser la place, pas forcément explicite, qu’y occupe le spectateur. Dans les pratiques actuelles de l’espace, qu’il soit théâtral ou non, s’établissent et se construisent, dans un lieu donné, de nouveaux rapports entre celui qui regarde et ce qu’il regarde. Ces nouveaux rapports, qui spatialisent et démultiplient les points de vue singuliers, produisent un champ scénographique, qui excède largement les cadres de la représentation traditionnelle. Quand elle ne les fait pas  exploser.

3. Place
Ces nouvelles expériences s’appuient sur une mise en crise de ce qui est visible dans ce qui est vu, et ouvrent de nouveaux rapports avec ce qui n’est pas visible dans ce qui est vu le hors champ, le contrechamp ou l’au-delà du champ du visible. Cette mise en crise s’appuie sur des questions très physiques, questions de place et de voisinage, de place et d’écart, d’accoudoirs, distance physique entre les corps, pente, assise, marche, nombre, volume, sol, matière, lumière, ornement. Détermination et indétermination d’une position physique. Espace de la communauté rassemblée, ou dispersée, le temps de la (re)présentation, autour d’un objet. Elle questionne les règles du jeu et les stratégies de mise en place des spectateurs dans l’espace/temps de la (re)présentation.  Un espace ouvert, plein de trouées multiples et de
directions qui maintienne une libre distance et un éveil pour ceux qui s’y trouvent.

4. Lieu
Cette exigence d’un nouveau rôle des spectateurs  ouvre nécessairement la question des lieux d’où l’on regarde. «Qu’est-ce que le lieu du voir ensemble ? Qu’est-ce que cet espace dans lequel, chacun des corps vivants désignant l’autre, se trouve par là désigné un monde commun dans la consistance de ses voisinages ? » Jean-Toussaint Desanti.
Poser de cette façon la question des lieux , c’est ouvrir des interrogations  radicales sur les
lieux de représentation comme porteurs d’une histoire, qu’il s’agisse de lieux spectaculaires, de lieux d’exposition, de l’espace urbain. Comment travailler et jouer avec ces déterminismes ? La sortie des lieux et des contextes anciens ne conduit pas au non-lieu, mais appelle forcément de nouveaux lieux, de nouveaux contextes capables d’accueillir ces déplacements des spectateurs et des expériences qui en proviennent.

5. Espace (de la politique)
On l’aura compris, ces pratiques en devenir appellent d’emblée des questions politiques. Où le spectateur produit lui-même une politique des espaces qui l’accueillent. Mais pour construire quoi, aujourd’hui, en termes de (re)présentation ?  En précisant aussi que ces déplacements altèrent nécessairement la nature même de l’acte de spectateur. Au point que le terme même de spectateur n’est plus forcément juste témoin, visiteur, client, acteur, public, communauté, tribu, observateur. Chacun de ces mots engage un processus cri
tique qui ne laisse pas indemne le champ culturel actuel, entièrement dévolu au spectateur voué au spectaculaire. Quelles places, quelles images, quelles expériences inventer pour résister à cette domination dévorante du spectaculaire, qui gangrène sournoisement l’espace public ?

François Duconseille, Alexandre Fruh, Jean-Christophe Lanquetin, Pierre-André Weitz et Bruno Tackels, enseignants à l’atelier scénographie de l’ESAD/Strasbourg.


 

photographies Alain Kaiser


 

annonce du Maillon


DNA001-L

article des Dernières Nouvelles d’Alsace